La
libre Belgique, 28 juin 2005
Roland Planchard
La
Belgique s'arme contre les sectes
Une
nouvelle notion de droit pour juguler les sectes.
Le
groupe de travail parlementaire contre les organisations sectaires
achève son travail.
L'abus de faiblesse et la manipulation mentale sont dans le collimateur.
Les travaux du groupe de travail français inspirent...
En Belgique,
depuis la commission parlementaire sur les organisations sectaires
nuisibles de 1997 et hormis la création consécutive
du CIAOSN («Centre d'information et d'avis sur les organisations
sectaires nuisibles»), la lutte contre les sectes n'a plus
paru être prioritaire. De quoi être amer, après
la gravité des constats posés cette année-là?
Sans doute aucun cas spectaculaire n'est-il venu dans l'actualité,
depuis plusieurs années. Mais le risque augmente et c'est
pourquoi sept députés (PS, MR, CDH, VLD, CD&V,
SP.A, VB) ont formé, voilà un an, un groupe de travail
s'attelant à la définition de moyens permettant de
contrer ce risque et d'éviter, si possible, un drame futur.
André
Frédéric (PS) le préside. «Certes, j'aime
souligner que le CIAOSN fonctionne de manière remarquable,
avec peu de moyens. Mais à côté de cela, peu
de choses ont été faites, depuis, pour protéger
le citoyen. Or on constate une recrudescence dans le nombre des
organisations sectaires et dans le nombre des victimes. On le fait
tantôt de façon subjective, car toutes les victimes
ne déposent pas plainte, tantôt de façon objective,
par le biais du CIAOSN.» (Lire page suivante)
Toujours est-il
que ce groupe approche du terme de son ouvrage, qui a consisté
entre autres à entendre divers acteurs judiciaires concernés
par le sujet. Et, mercredi passé, il a procédé
à une audition particulièrement importante, celle
du député socialiste français Philippe Vuilque.
Celui-ci, par
ailleurs vice-président du Conseil Champagne- Ardennes et
membre de la commission des lois, préside le groupe d'étude
sur les organisations sectaires de l'Assemblée nationale
(des dizaines de députés de toutes tendances). Une
expérience d'autant plus précieuse que, de même
que ce fut le cas en Belgique, ce groupe a toujours «fonctionné
à l'unanimité, sans laisser de prise au lobbying sectaire»,
dit M. Vuilque.
Bref, son audition
par le groupe belge a permis de renforcer plusieurs points de réflexion
essentiels, qui trouveront un aboutissement concret dans peu de
temps (lire ci-dessus).
1 L'abus
de faiblesse et la manipulation mentale permettent aux sectes
de recruter et d'exploiter l'adepte. En France, dit M. Vuilque,
«on s'est aperçu au fil des ans que notre législation
était incomplète. Il était difficile de faire
condamner les organisations sectaires elles-mêmes. Et c'est
pourquoi nous avons demandé et obtenu la loi About-Picard,
du 12 juin 2001, qui permet entre autres la dissolution de l'association
de droit ou de fait, dès lors que ses dirigeants ont déjà
été condamnés au pénal. Elle a créé
le délit de «manipulation mentale», que, pour
des raisons de précision juridique, nous avons appelé
«abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de situation
de faiblesse». Les termes sont importants». D'autres,
d'abord choisis à l'Assemblée nationale française,
posaient des soucis juridiques. Bref, «tout est laissé
bien sûr à l'appréciation du juge mais, aujourd'hui,
les magistrats français ont des outils supplémentaires».
En tout cas,
«cette loi a eu une efficacité d'abord préventive
et pédagogique. Et nous pensons avoir été sur
la bonne voie, en ayant utilisé cette notion précise
qui ne touche pas au principe républicain et laïc intangible
qui veut que tout citoyen peut avoir la philosophie qu'il veut,
à partir du moment où il respecte la législation.
C'est apparu dès l'époque du vote, car toutes les
organisations sectaires sont montées au créneau en
criant au scandale...» Mais personne d'autre.
Las, comme l'indique
André Frédéric, «par rapport à
la loi About-Picard, il n'existe rien dans le dispositif pénal
belge. On n'est nulle part. On peut poursuivre pour des faits délictueux
d'abus de confiance, d'extorsion de fonds, de maltraitance, mais
jamais en rapport direct avec un abus de faiblesse puisqu'il n'existe
pas dans le code pénal».
Il est donc
«encore plus convaincu de la nécessité de prendre
l'initiative en la matière, après avoir entendu l'exposé
de Philippe Vuilque. Il a bien souligné l'effet préventif,
puisque les sectes identifient maintenant la France comme étant
le pays où on ne fait pas n'importe quoi, où il n'y
a plus moyen de se dissimuler derrière de pseudo-organisations
pour mener un travail d'extorsion de fonds. C'est réjouissant
et je pense que ce sera une orientation du groupe de travail, d'autant
que cette notion semble bien correspondre au problème soulevé
par l'ensemble du monde judiciaire que nous avons interrogé
jusqu'ici».
Toujours est-il
aussi que les deux hommes attendent avec intérêt le
résultat jurisprudentiel du cas «Neo Phare»,
une secte apocalyptique bretonne (lire ci-contre) qui pourrait éclairer
les débats belges.
2 L'obligation
scolaire. A la différence de la première, une
autre réalisation juridique française n'avait jamais
été envisagée en Belgique. Elle pourrait l'être.
Philippe Vuilque: «Nous avons renforcé le contrôle
de l'Etat dans l'obligation scolaire par une loi de 1998. A la veille
du vote de cette loi, quelque 6000 enfants n'étaient pas
scolarisés normalement, mais uniquement par les familles,
avec tout ce que cela impliquait comme possibilité d'emprise
sectaire. Aujourd'hui, ce nombre est divisé par six...»
3 Le rôle
d'information parlementaire. André Frédéric:
«Ce que nous venons d'entendre montre que les parlementaires
français font un travail d'information permanent de leurs
collègues. Nous pourrions nous en inspirer car, même
si certains s'adressent au CIAOSN, les élus sont confrontés
au lobby des organisations sectaires, sans parfois s'en rendre compte,
en toute bonne foi.»
4 L'Europe.
Le député belge regrette aussi que «nous sommes
voisins et, pourtant, on partage peu les expériences. C'est
d'autant moins normal qu'on est en face d'un phénomène
qui se délocalise aisément. Un débat, ou à
tout le moins une concertation, sur le plan européen paraît
s'imposer». L'idée évoquée mercredi «dans
le groupe de travail est donc de prendre là aussi une initiative,
commune avec le groupe de mon collègue français, pour
solliciter le Parlement européen». Pas facile, car
l'Europe comprend, dit M. Vuilque, «les conceptions latine
et anglo-saxonne. Cette dernière tend à dire, avec
des dérives comme aux Etats-Unis, pas touche!, dès
qu'on parle religion».
La conception
méditerranéenne, qui n'est pas très éloignée
de la spécificité française et qui touche à
la laïcité et à la séparation absolue
de l'Eglise et l'Etat, serait bien plus nuancée. «Mais
des choses se font déjà, comme en Allemagne, en Autriche,
en Grèce et en Espagne, où de toute évidence
on est en train de se poser des questions sur le sujet», poursuit-il
en «partageant entièrement la proposition d'André
Frédéric d'aborder le problème au niveau européen».
Un cas concret se déroule en France et pourrait fonder la
jurisprudence.
La secte «Neo
Phare» guidait ses adeptes vers la mort. Son gourou a été
condamné une première fois. On attend la décision
d'appel.
Un suicide collectif: c'est ce à quoi la secte apocalyptique
bretonne «Neo Phare» conduisait ses adeptes, était-il
apparu en 2002. La fin du monde était proche, disait Arnaud
Mussy, le gourou âgé de 38 ans, «en tout cas
avant Noël».
Mussy? Il s'était
pris d'abord pour l'apôtre Jacques mais avait ensuite «découvert»,
en 2001, être Jésus «revenu sur Terre».
Ses pratiques
avaient en tout cas amené Jérémie, un disciple
âgé de 29 ans, à se donner la mort, le 14 juillet
2002. Deux autres adeptes avaient tenté de se tuer le même
mois, avant que la gendarmerie puis la justice interviennent sur
la base de la loi About-Picard.
Le 25 novembre
2004, Mussy était condamné par le tribunal correctionnel
de Nantes, grâce à cet outil juridique, à trois
ans de prison (avec sursis), à cinq ans de mise à
l'épreuve ainsi qu'à quelque 90000 euros de dommages
et intérêts au bénéfice des parties civiles.
Une première dont la France s'était largement réjouie.
Les parents
de Jérémie avaient à cette occasion espéré
que cela permette de neutraliser définitivement un gourou
manifestant son influence même sur un médecin urgentiste
du CHU de Nantes et sur des fonctionnaires, notamment de l'Education
nationale française. Auxquels il imposait entre autres de
briser les couples en fonction d'un principe basé sur les
«âmes soeurs», rien de moins.
Décision
le 12 juillet
Quant à
la Miviludes (la «Mission interministérielle de vigilance
et de lutte contre les dérives sectaires»), elle avait
fait état d'une «excellente nouvelle», parlant
de l'efficacité d'une arme permettant de «sanctionner
les atteintes aux libertés individuelles, à l'intégrité
physique et psychique des personnes en état de faiblesse»,
c'est-à-dire le «domaine de prédilection des
sectes». Et de préciser que «les magistrats viennent
de confirmer ce que les parlementaires, de droite comme de gauche,
dénoncent depuis des années: les sectes font de leurs
adeptes les acteurs involontaires de leur propre destruction».
Il lui paraissait donc «souhaitable que ce jugement (...)
fasse jurisprudence».
On ignore cependant
encore le sort jurisprudentiel de l'affaire, qui a aussi une dimension
financière au détriment d'adeptes, car Mussy a interjeté
appel du jugement.
Ce procès
est en cours à Rennes et, si le ministère public a
requis une aggravation de la peine (trois ans de prison dont six
mois fermes), l'arrêt a été mis en délibéré
jusqu'au 12 juillet. Il faut donc attendre encore pour savoir quel
impact réel l'affaire aura à cet égard.
REPÈRES
: Une nette recrudescence
Lorsque les
parlementaires belges évoquent une recrudescence du phénomène
sectaire, ils se fondent notamment sur les données recueillies
par le Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires
nuisibles. Celui-ci s'est toujours montré prudent, par exemple
en n'utilisant pas le terme de sectes, ni même d'organisations
sectaires, pour désigner les «groupes» qu'il
étudie.
«Parce
qu'on ne dit de personne qu'il est coupable avant de l'avoir jugé»,
a déjà publiquement expliqué Eric Brasseur,
son directeur qui a, lui aussi, rencontré le député
français Philippe Vuilque, la semaine passée.
Mais toujours
est-il que ces données du CIAOSN sont fort intéressantes.
Ainsi, des dossiers concernant 533 groupes ont été
ouverts depuis la création du centre, mais ils ne comportent
que 94 groupes déjà cités lors des travaux
de la Commission d'enquête parlementaire de 1997.
Une fameuse
augmentation qu'on peut mettre en corrélation avec le nombre
de consultations du centre, important: 1379 demandes ont été
formulées en 2003-2004. Mais le CIAOSN a constaté
l'impact étonnant de certains articles de presse, avec des
pics considérables de questions qui réduisent la valeur
statistique du nombre.
Quant à
son site Internet, il «tourne» en moyenne à 4000
visites par mois.
Mais le même
centre, qui pourrait diffuser son prochain rapport annuel, particulièrement
complet, au mois de septembre prochain, relève que la proportion
des demandes faites par des autorités, comme les communes
ou la police, est plus significative. Et est en forte augmentation:
de 8pc en 2003 à à 16,5pc en 2004. Côté
citoyens, la première catégorie de demandeurs est,
sans surprise, celle des personnes affectées par les sectes
dans leur vie personnelle et familiale.
CIAOSN, 139,
rue Haute, 3e ét., 1000 Bruxelles,
E-mail ciaosn@just.fgov.be, Web http://www.ciaosn.be
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